2 – FANTÔMAS EST PRIS

L’acteur Dick venait de partir.

Dans le cabinet de travail de Juve, dans ce cabinet où déjà, tant de fois, de mystérieux drames avaient eu lieu, le policier et Fandor demeuraient seuls face à Fantômas.

Cela se passait l’après-midi même du jour où le jeune Jacques Faramont avait prêté serment au Palais de Justice.

— Fantômas, avait hurlé Juve, au nom de la Loi, je vous arrête !

La poigne du policier s’était abattue sur l’épaule du Roi du Crime. Fantômas n’avait pas eu un tressaillement, il n’avait tenté aucune résistance, il s’était laissé très docilement ligoter, étroitement ficeler par Fandor.

Les instants semblaient interminables. Devant Fantômas qui était venu se livrer, qu’ils venaient de prendre, devant Fantômas, chargé de liens, devant eux, incapable désormais de tenter un geste de défense, Fandor et Juve demeuraient égarés, surpris et si joyeux qu’une émotion, une peur se mêlait à un sentiment de soulagement infini.

Juve, le premier mouvement de stupeur passé, épongea d’une main qui tremblait la sueur qui lui perlait au front.

— Fandor, déclara enfin le policier, il est pris, et il ne peut plus s’échapper. Il faut agir maintenant et agir vite. Nous allons le mener au Dépôt.

Juve parlait ainsi comme si Fantômas avait été frappé soudain de surdité, comme s’il n’avait pas pu entendre ; or, précisément, aux paroles de Juve, Fantômas éclata de rire, amusé, semblait-il.

— Juve, disait le bandit, vous répétez bien souvent ces mots : il est pris. Vous seriez peut-être plus sincère si vous reconnaissiez que je me suis livré, vous ne m’avez pas pris, Juve. Je me suis constitué prisonnier, voilà tout.

Il y avait une certaine insolence, une raillerie non dissimulée dans le ton du misérable. Fandor, de blême qu’il était, devint subitement rouge. Le sang lui monta à la tête, une colère le fit frémir.

— Taisez-vous ! ordonna-t-il en fixant le bandit. Vous avez sans doute pensé, Fantômas, qu’une fois encore vous trouveriez le moyen de vous échapper quand bon vous semblerait, mais je vous le jure, vous vous êtes trompé. Vous vous êtes livré, tant pis pour vous ! Au moindre de vos mouvements, ni Juve, ni moi, n’hésiterions à vous brûler la cervelle. Tenez-vous-le pour dit.

Fantômas haussa les épaules.

C’est d’un air résigné, quoique toujours un peu moqueur, qu’il répondit :

— J’ai les bras liés, les jambes attachées, comment diable voulez-vous que je puisse tenter un mouvement ? Même si la fantaisie me prenait, cela me serait impossible, et puis, pourquoi voudrais-je m’échapper, puisque je suis ici de mon plein gré ?

Puis, comme s’il eût dédaigné de converser plus longtemps avec Fandor, Fantômas se tourna vers Juve.

— Allons, faisait-il, dépêchez-vous, Juve. Si vous devez me conduire au Dépôt, j’ai hâte d’être sous les verrous. Allons-y tout de suite.

— Vraiment ? railla Juve à son tour. Je puis vous demander pourquoi ?

— Je vous l’ai dit, Juve. J’ai quelqu’un à venger, on a tué lady Beltham.

— Vous l’avez tuée, Fantômas.

— Non, ce n’est pas moi. C’est un autre. Je ne sais qui. Quand je serai sous les verrous, Juve, je ne doute pas qu’une courte et rapide enquête n’arrive à vous convaincre de ma franchise. Je ne suis pas l’assassin de lady Beltham. J’aimais lady Beltham et sa mort m’a cruellement fait souffrir, c’est pourquoi je suis ici. Libre, vous n’auriez pu vous occuper de venger ma malheureuse maîtresse, mais, moi pris, votre devoir sera d’éclaircir ce crime resté mystérieux. Voilà pourquoi j’ai hâte d’être au Dépôt. Allons, faites votre devoir, emmenez-moi.

— Taisez-vous, dit Juve.

Le policier, à cet instant, réfléchissait profondément. Depuis plus de dix ans, Juve vivait avec le désir de s’emparer de Fantômas, d’appréhender le forban, de le mettre hors d’état de nuire, et voilà qu’à l’instant même où il s’était saisi de lui, où il le tenait à sa merci, où il allait l’emporter comme une chose sans défense, vers les prisons dont on ne s’évade pas, Juve ne goûtait encore aucune joie. Bien plus, il éprouvait une secrète angoisse.

Fantômas disait vrai. Juve ne l’avait pas pris. Il s’était livré aux mains de Juve. S’il était devant le policier chargé de menottes, dans l’impossibilité de se défendre, c’était parce que cela lui avait plu. C’était qu’il avait trouvé bon de se constituer prisonnier.

— Je n’ai pas tué lady Beltham, répétait Fantômas.

Et Juve devait se l’avouer, il apparaissait bien en effet que Fantômas était innocent de ce crime. Mais quel était alors le sombre mystère qui avait entouré la mort tragique, incompréhensible de la malheureuse maîtresse du bandit ?

Si véritablement, ce n’était pas Fantômas qui avait tué lady Beltham, qui donc l’avait tuée ? Et si Fantômas s’était livré à Juve pour que Juve recherchât l’assassin de la grande dame, contre qui Juve aurait-il à diriger ses recherches ? Or, tandis que Juve réfléchissait ainsi, Fandor, de son côté, songeait. Le jeune homme, furieux tout à l’heure, du ton de bravade qu’avait employé Fantômas, brusquement s’était calmé. Il reprit la parole :

— Fantômas, vous venez vous-même en effet de vous livrer à nous, nous allons faire notre devoir, et vous remettre aux mains de la justice. Mais, s’il est vrai que vous n’êtes pour rien dans l’assassinat de lady Beltham, je vous jure, en mon nom, comme au nom de Juve qui nous écoute, que nous n’aurons de cesse l’un et l’autre que la vérité soit faite sur la mort de celle que vous avez aimée.

— Je vous remercie, Fandor.

D’une voix grave, Fantômas venait de répondre au jeune homme. Les mots étaient simples, mais ils avaient un caractère poignant, échangés entre ces deux hommes qui se haïssaient depuis si longtemps.

— Je vais rester ici, reprit Juve, en face de Fantômas. J’ai mon browning à la main, au premier mouvement qu’il esquissera, je ne me ferai point faute de tirer. Toi, Fandor, va chercher une voiture. Dans une heure, nous l’aurons fait écrouer.

Fandor ne répondit pas. Il s’assura d’un coup d’œil de la disposition de la pièce. Tant de fois Fantômas avait réussi d’invraisemblables prodiges d’audace, tant de fois, il avait risqué de formidables tentatives d’évasion, toujours couronnées de succès, que Fandor, malgré lui, malgré les affirmations du bandit, doutait presque de la réalité, ne pouvait croire que Fantômas fût réellement prisonnier.

Juve, cependant, ne se trompait pas à l’émotion que manifestait son ami.

— Allons, reprenait-il, descends, Fandor. Va chercher un fiacre, je te dis qu’il ne peut pas s’échapper.

Juve agitait son revolver comme un argument suprême. Fandor allait peut-être répondre. Fantômas eut un éclat de rire.

— Je m’échapperais si je le voulais, raillait-il, mais je ne le veux pas. Soyez tranquille, Fandor. Vous me retrouverez ici, je vous le promets.

Les promesses de Fantômas, toutefois, n’étaient point de nature à calmer les appréhensions de Jérôme Fandor. Il fallait cependant se décider.

— Juve, dit encore le jeune homme, il est bien entendu, n’est-il pas vrai, qu’au moindre mouvement… ?

— Mais oui, interrompit Juve, dépêche-toi de m’obéir. Descends !

À regret, Jérôme Fandor partit. Il descendit quatre marches par quatre marches l’escalier de la maison, héla un fiacre, lui expliqua qu’il s’agissait de conduire un prisonnier au Dépôt. Puis, ayant fait ranger la voiture le long du trottoir, remonta pour prévenir Juve. En mettant la clé dans la serrure de l’appartement du policier, la main de Jérôme Fandor tremblait. Il entra brusquement dans le cabinet de travail. Alors, un soupir de soulagement s’échappa de sa poitrine. Ni Juve, ni Fantômas n’avaient bougé. Le policier était toujours assis en face du bandit, Fantômas toujours ficelé se tenait immobile sous la menace du revolver de Juve.

— La voiture est là, Fandor ?

— Oui.

— Descendons, alors.

Juve remit son revolver dans sa poche. Il passa aux poignets de Fantômas qui se laissa faire sans la moindre résistance, un cabriolet d’acier, une chaînette fine et solide dont il maintenait soigneusement les deux bouts. À la moindre tension imprimée par Juve, les poignets du misérable subiraient une atroce pression, seraient aux trois quarts écrasés.

Parbleu, il pouvait bien essayer de fuir, Fantômas ! Juve, d’un geste était en mesure de le dompter, de le forcer à demander grâce et cela impitoyablement. On ne résiste pas à la douleur qu’impose la torture d’un cabriolet.

— Allons, Juve !

— Allons, Fandor !

Fantômas ne disait rien. Loin d’avoir l’air honteux, loin de paraître bouleversé, à l’idée de descendre si humblement ligoté, il riait. Le bandit était véritablement prisonnier parce qu’il l’avait voulu et sa situation misérable le touchait peu, si peu, qu’il semblait encore garder un sourire ironique et dominer les événements.

— Avancez, Fantômas !

— Je vous suis.

Juve, tenant toujours son prisonnier, s’engageait dans l’escalier, accompagné de Fandor, prêt, au moindre mouvement, à se jeter sur le bandit. Rapidement, les trois hommes atteignirent le trottoir. Fantômas, toujours souriant, monta en fiacre, Juve le fit asseoir sur la banquette du fond, à côté de lui. Fandor s’installa sur le strapontin.

— Quai des Orfèvres ! cria le journaliste. Au service de la Sûreté !

Le cocher fouetta son cheval, l’équipage s’ébranla. Le trajet n’est guère long de Montmartre au service de la Sûreté, et, pourtant, il parut s’effectuer avec une extraordinaire lenteur à Juve et à Fandor, peut-être même à Fantômas.

Les deux amis, en effet, encore qu’à cet instant ils fussent véritablement bien persuadés que Fantômas ne pouvait pas s’enfuir, étaient incapables de s’empêcher de frémir au moindre incident : un embarras de voitures retardant la marche du fiacre faisait trembler Fandor. Le regard d’un passant qui, sur un refuge du boulevard, remarquait les cabriolets mis aux mains de Fantômas inquiétait Juve. On pouvait tout attendre de Fantômas. De la part du bandit, rien n’était impossible. Un coup de force eût été aisé après tout : il avait tant et tant de complices. C’est cependant sans qu’il y ait eu le moindre incident, sans que la moindre aventure fût survenue, que le fiacre arriva à destination. Fandor descendit le premier.

Juve fit ensuite passer Fantômas, puis, quand le bandit fut sorti du fiacre, lui-même en descendit.

Fantômas, jusqu’alors s’était tu. Or, brusquement, en apercevant les murailles hautes des bâtiments, en voyant que Juve le poussait vers les longs couloirs qui mènent au service de la Sûreté, le monstre frissonna :

— Juve… commença-t-il.

Mais Juve avait senti son hésitation. Il avait déjà remarqué que la marche de son prisonnier était moins ferme et moins assurée.

— Avancez, ordonna-t-il.

Et il serra un peu le cabriolet. Or, à cet instant, Fantômas s’arrêta :

— Juve, reprit le bandit, vous pouvez me broyer le poignet si bon vous semble, mais vous ne me ferez pas hâter le pas si cela me déplaît. Juve, voici l’instant où vous allez me livrer. Fort bien. Je n’ai qu’un mot à vous dire : « Souvenez-vous que je suis ici parce que je veux que vous vengiez lady Beltham. Souvenez-vous. »

Tout le temps que Fantômas parlait, Juve, nerveusement, avait tordu le cabriolet.

Fantômas n’avait même pas paru sentir l’horrible douleur qui lui était ainsi occasionnée. Ayant achevé, il repartit d’un pas tranquille.

Trois minutes plus tard, le bandit, Fandor et Juve étaient dans une sorte de petite salle basse et obscure, meublée d’un simple escabeau de bois blanc, d’une table boiteuse, d’une cruche remplie d’eau. Ce local sommaire était la chambre de force mise à la disposition des inspecteurs de la Sûreté ayant besoin d’enfermer quelques instants un individu avant de le faire écrouer définitivement au Dépôt.

Juve, en y entrant, avait appelé plusieurs de ses collègues, Léon et Michel entre autres. Et c’est seulement quand il y eut ces inspecteurs de la Sûreté dans la petite pièce, ces inspecteurs qui, sur un signe, avaient le revolver au poing, que Juve laissa Fantômas s’asseoir sur l’escabeau, cessant de le maintenir par le cabriolet.

— Je vais chercher M. Havard, déclara-t-il.

Et il se tourna vers Fandor, lui faisant de multiples recommandations, s’adressant à lui comme à celui en qui il pouvait avoir le plus de confiance.

— Fais attention, Fandor, je te le confie.

Mais ce n’est pas Fandor qui répondit, c’est Fantômas qui éleva la voix, Fantômas qui déclara d’un ton calme :

— Allez donc, Juve, et finissons-en. Je vous ai dit que je ne m’en irai pas et vous savez que je suis ici volontairement.

Au moment où le policier réapparaissait dans la petite salle basse, accompagné de M. Havard, Fantômas se leva. Il était brusquement devenu très pâle, brusquement sa voix se prenait à trembler.

— Monsieur le chef de la Sûreté, déclara Fantômas hautain, saluant M. Havard d’un signe de tête qui avait quelque chose de protecteur, monsieur le chef de la Sûreté, je me suis constitué prisonnier aux mains de Juve. Je suis pris parce que j’ai bien voulu être pris.

Il allait sans doute ajouter quelques paroles narquoises. M. Havard, d’un geste, lui imposa silence.

— En quelques mots, Juve vient de me mettre au courant, disait-il. Vous n’avez pas besoin d’essayer de diminuer votre adversaire, Fantômas, vous n’y réussirez pas. C’est devant vous que je tiens à féliciter Juve de votre arrestation. Vous vous êtes constitué prisonnier, dites-vous ? C’est exact, personne ne le nie ici, mais vous vous êtes livré aux mains de Juve, c’est lui-même qui me l’a dit, parce que vous avez besoin que la police officielle s’occupe de châtier un crime qui vous a fait souffrir, Juve me l’a dit encore. Ce qu’il ne m’a point dit et que je dis, moi, chef de la Sûreté, c’est qu’en somme, vous venez d’être amené à vous rendre, à vous rendre à Juve, parce que vous êtes obligé de convenir que Juve est plus fort que vous.

— Je ne discuterai point de cela avec vous, monsieur Havard, riposta Fantômas. Félicitez Juve si bon vous semble, peu m’importe. Je ne lui demande que de se souvenir de la mission que je lui ai donnée. Et puis, finissons-en vraiment, messieurs de la Sûreté. Vous êtes ridicules de vous mettre à dix pour me surveiller, alors que je me suis rendu… Vous m’écrouez ici ?

— Venez ! dit Juve.

Sur un geste de M. Havard, les inspecteurs entouraient le Roi du Crime et c’est ainsi que, sous la conduite des agents de l’autorité, ayant à sa droite Juve, à sa gauche, Jérôme Fandor, précédé par M. Havard en personne, Fantômas fut conduit à la souricière.

Il dut descendre les étroits escaliers qui font communiquer les bâtiments de la Sûreté avec les cellules du Dépôt. En franchissant la grille de la prison, le bandit réprima un tressaillement.

— Juve, répéta-t-il, souvenez-vous, souvenez-vous.

Mais c’est M. Havard qui répondit. M. Havard n’eut point pour Fantômas les ménagements que Juve et Fandor, malgré eux, avaient pour le bandit. M. Havard sentait une sourde colère l’envahir, l’attitude hautaine et provocante qu’affectait Fantômas, le mettait malgré lui dans tous ses états. Il fut cruel :

— Je me souviens d’une chose, Fantômas, disait le chef de la Sûreté, c’est que beaucoup d’autres misérables ont suivi comme vous le chemin que nous suivons, beaucoup d’autres ont, comme vous, Fantômas, descendu cet escalier, cet escalier qui mène à la souricière. Il mène plus loin, Fantômas, et beaucoup d’autres avant vous se sont aperçus qu’il conduisait à la guillotine. Voilà ce dont je me souviens, Fantômas. Voilà ce dont il faut que vous vous souveniez aussi.

À l’horrible évocation qu’il lui faisait, à la menace qu’il formulait, Fantômas ne tressaillit pas. Un sourire seulement errait sur ses lèvres.

— Je ne comprends pas, répondit froidement Fantômas, la comparaison que vous tentez, monsieur Havard. Ce que j’ai fait, personne ne l’a fait et ce que les autres font, je ne le fais point. Il est possible que d’autres aient été conduits par vous vers la guillotine, il est possible que cet escalier mène au couperet du bourreau, mais en ce qui me concerne, je puis vous affirmer qu’il mène seulement…

— À quoi, Fantômas ?

Les lèvres du bandit s’agitèrent. Il parut un instant qu’une révolte allait l’obliger à se départir de son terrible sang-froid. Les veines de son front se gonflèrent ; ses dents serrées crissèrent de rage, un frémissement le secoua. Il se domina pourtant :

— Cet escalier mène à la vengeance, dit simplement Fantômas.

Et, négligeant de répondre à M. Havard, le bandit fixa Juve une fois encore.

— Souvenez-vous que ce n’est pas moi qui ai tué lady Beltham.

Derrière le groupe des policiers, cependant, les portes de fer de la souricière s’étaient closes ; dans le greffe, les gardiens mandés d’urgence s’empressaient.

— Inspecteur Juve, ordonna M. Havard, faites votre mandat de dépôt.

— Voici, répondit Juve.

Il s’approcha d’une tablette scellée dans le mur, tira de son portefeuille une formule dont il remplit les blancs et qu’il tendit au greffier.

— Voilà ma réquisition, dit-il.

Et, attirant l’attention de M. Havard, Juve ajouta :

— Voyez, chef, je n’ai eu aujourd’hui qu’à ajouter la date et la signature. Il y a dix ans que je porte ce papier dans ce portefeuille. Il date de l’assassinat de la marquise de Langrune [1], alors que je m’occupais de Fantômas pour la première fois ; alors que je me jurais qu’un jour je le conduirais ici pour le remettre à ses juges. Je me suis tenu parole, chef.

M. Havard tendit ses deux mains à l’inspecteur :

— Et moi, je vous remercie. Il y a longtemps que vous appartenez à la Sûreté, Juve, il y a longtemps que j’ai pu apprécier votre dévouement, je suis heureux, devant tous, de vous rendre hommage.

Le chef de la Sûreté allait encore ajouter quelques mots, il n’en eut pas le temps.

— Finissons-en, grogna Fantômas. J’ai le droit d’être traité comme un assassin ordinaire et je réclame ma mise en cellule.

— Soit : fouillez cet homme !

Deux gardiens fouillèrent le bandit, mais Fantômas, évidemment, en se rendant chez Juve, n’avait rien gardé qui pût être compromettant. On découvrit seulement, pendu à son cou, une sorte de médaillon d’argent vieilli, que les gardiens lui arrachèrent.

— Laissez-moi cela, dit le bandit.

— Le règlement s’y oppose.

Juve, déjà s’était emparé de l’objet. Il ouvrit le boîtier, eut un haut-le-corps : à l’intérieur du médaillon, deux photographies seulement apparaissaient, l’une représentant lady Beltham, l’autre Hélène.

— Ma maîtresse, ma fille, murmura Fantômas. Les deux êtres que j’ai chéris. Juve, j’aimerais mieux mourir que de vous demander une grâce, pourtant…

— Laissez ce médaillon à Fantômas, ordonna Juve. Il ne contient rien qui puisse être dangereux, qui puisse être inquiétant.

— Merci, Juve.

Ce que n’avait pu faire aucune menace, ce que n’avait point fait l’horreur de sa situation, la simple remise de ce médaillon le faisait.

Une larme perla au bord des cils de Fantômas. Il fit jouer le ressort du bijou, il regarda les deux photographies, puis, se roidissant encore, déclara :

— Les formalités sont accomplies, je suppose ?

— Emmenez-le, dit M. Havard.

Les inspecteurs de la Sûreté venaient de s’écarter ; les formalités du greffe étant terminées, ils étaient dessaisis de Fantômas. Le bandit appartenait désormais à l’administration pénitentiaire. Deux gardiens le prirent par les mains. On l’avait délié. Quelques minutes plus tard, des bruits de verrous retentirent. Le pas mélancolique du gardien de faction ébranlait les silencieuses allées de la souricière. Fantômas était définitivement incarcéré, définitivement pris, et même, un homme était chargé nuit et jour de ne point le perdre de vue.

Alors seulement, Juve, Fandor et les inspecteurs de la police se retirèrent.

À six heures du soir, Juve et Fandor quittaient le Palais de Justice. Les deux amis étaient rompus de fatigue, brisés d’émotion. L’arrestation imprévue de Fantômas, les scènes qui l’avaient marquée, la perpétuelle tension d’esprit où ils étaient demeurés l’un et l’autre, cependant qu’on conduisait le bandit au Dépôt, les avaient accablés.

Fantômas mis en cellule, d’ailleurs, ils n’avaient pas encore pu prendre immédiatement un repos dont ils avaient cependant un impérieux besoin.

Aidé de Fandor, Juve avait dû effectuer une infinité de démarches. M. Havard avait voulu un récit complet et détaillé des derniers événements. Puis le chef de la Sûreté avait vivement prié Juve de l’accompagner au cabinet du procureur général.

Le haut magistrat avait alors longuement entretenu les deux amis.

Après avoir vivement félicité le détective et son inséparable compagnon, Jérôme Fandor, il avait enfin procédé à la désignation d’un juge d’instruction, lequel n’était autre que Germain Fuselier, ce qui avait comblé d’aise le journaliste aussi bien que le policier.

Sortis du cabinet du procureur général, Juve et Fandor s’étaient naturellement rendus au cabinet de M. Fuselier pour lui apprendre les extraordinaires événements qui venaient de se dérouler, pour lui annoncer aussi qu’il allait avoir à conduire, tâche honorifique mais terriblement lourde et périlleuse, la formidable instruction des affaires de Fantômas.

Cette visite, naturellement, avait obligé Juve et Fandor à faire une fois encore le récit des derniers drames survenus.

— Ah mon vieil ami, mon vieil ami, murmurait le journaliste en sortant du Palais de Justice avec Juve.

— Quoi ? Qu’est-ce qui te prend, Fandor ?

— Rien, mais je suis heureux ! Tenez, j’imagine qu’aujourd’hui est la plus belle journée de ma vie. Parbleu, Fantômas est pris, il me semble que tout l’affreux cauchemar qu’était notre vie depuis dix ans va brusquement prendre fin et que rien ne s’opposera plus désormais à ce que je puisse aimer Hélène, et…

— Tais-toi, Fandor.

Le front de Juve s’était brusquement rembruni.

— Nous ne sommes pas au bout de nos peines, déclara-t-il, et j’ai bien peur, Fandor, que tu t’illusionnes en escomptant un bonheur trop prochain. Oui, sans doute, Fantômas est pris, mais Fantômas est pris parce qu’il l’a voulu et il m’a dit : « Souvenez-vous ». Or, je me souviens. Fandor. Il y a un mystère que nous ne soupçonnons pas. Fandor, l’assassinat de lady Beltham, cet assassinat incompréhensible, cache quelque chose d’horriblement inquiétant. Tu me l’as dit toi-même, d’ailleurs. Tu l’as deviné en réfléchissant aux extraordinaires aventures de ces temps derniers, il y a peut-être deux Fantômas, or, nous n’en avons qu’un sous les verrous. Où est Hélène, d’ailleurs ? Que faisait-elle à Enghien ? Quel est le motif de son attitude bizarre ? Fandor, Fandor, il y a encore bien des mystères à deviner, des mystères qui me font peur.

— Juve, je ne vous crois pas, je ne veux pas vous croire, protesta le jeune journaliste et d’abord, Juve, vous l’avez dit ce matin, il y a une lettre d’Hélène qui vous est arrivée. Nous ne l’avons pas ouverte, préoccupés que nous étions tous les deux d’arrêter Fantômas, mais maintenant que le monstre est sous les verrous ; nous allons pouvoir la lire en paix, savoir ce qu’elle nous dit, deviner ce qu’elle nous cache encore, peut-être.

Les deux amis montèrent rapidement à l’appartement de Juve. Fandor, en effet, avait une hâte fébrile de connaître la lettre écrite à Juve par Hélène et dont il n’avait point encore pris connaissance, ayant fait taire ses égoïstes préoccupations pour prêter main forte à Juve, alors que celui-ci arrêtait le terrible Fantômas.

Hélas, une surprise cruelle attendait Fandor.

Quand, en compagnie du policier, en effet, le journaliste, rentré rue Tardieu, chercha dans le cabinet de travail de Juve la lettre d’Hélène, cette lettre qu’il y avait vue deux heures plus tôt, il lui fut impossible de la retrouver.

C’est en vain que Fandor et Juve fouillèrent tout l’appartement, en vain qu’ils bouleversèrent les meubles, qu’ils secouèrent la corbeille à papier. La lettre avait disparu. La lettre avait été volée, la lettre d’Hélène n’était plus chez Juve.

Alors, le malheureux journaliste convaincu de l’inutilité de ses recherches, tomba anéanti sur une chaise, sanglotant presque, et, tandis qu’il demeurait ainsi sans mouvements, à demi évanoui, Juve, tout bas, répétait :

— Fantômas, Fantômas. Est-ce donc Fantômas qui aurait volé cette lettre sans que je m’en sois aperçu ? Et quel était son but ? Que pouvait donc écrire Hélène ?